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Journal des étudiants de Reims mobilisés contre la LRU
10 décembre 2007

Résumés, explications et commentaires concernant les changements apportés par la LRU comparée au texte du Code de l'Education.

Préparé à partir du projet de loi par les participants de l’AG des personnels de Reims (30 juin 2007)

et mis à jour par Isabelle Krzywkowski

Rappel : le texte intégral de la loi est accessible à l’adresse :

http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=ESRX0757893L

[vous pouvez aussi aller sur google et taper « lru legifrance » : vous tombez sur le site de Légifrance, où se trouvent tous les textes de loi.]

Pour la comparaison, on trouvera le Code de l’éducation à l’adresse :

http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnCode?code=CEDUCATL.rcv

D’accord, c’est bien long, et pas drôle à lire, mais… c’est la loi

Si vous manquez de temps, vous pouvez lire prioritairement les articles 7, 11, 18 et 19, 20 et 28 !

Titre Ier : Les missions du service public de l’enseignement-supérieur

2 nouvelles missions (portant à 6 les missions de l’université, alors que 3 seulement sont reconnues dans les services des personnels enseignants) :

• L’une appelle peu de commentaires : la « participation à […] l’espace européen » aurait pu être incluse dans la mission 6 (et ex 4) de « coopération internationale.

• L’autre est « l’orientation et l’insertion professionnelle », mission n°3 :

Elle passe après « la formation initiale et continue » et « la recherche scientifique et technique, ainsi que la valorisation des résultats », mais AVANT « la diffusion de la culture et l’information scientifique et technique » et « la coopération internationale ».

- C’est privilégier l’orientation des formations comme réponse aux demandes du monde du travail, essentiellement local qui plus est (cf. suite), au lieu de construire des qualifications et des diplômes nationaux reconnus dans les conventions collectives et permettant un esprit critique et une vraie mobilité.

- C’est aussi faire porter à la formation initiale universitaire une responsabilité dans l’insertion professionnelle en dispensant (au moins en partie) les autres organismes de s’en préoccuper (services publics, entreprises publiques ou privées, collectivités, organismes divers…).

Or la mission de l’enseignement supérieur est au contraire d'accroître la liberté des étudiants qui font confiance à la formation universitaire pour les aider à construire leur avenir.

- Enfin, aucune aide n’est apportée pour cette nouvelle mission, qui demande pourtant des créations de postes spécifiques relevant des compétences des services d’orientation (SIOU).

Titre II : La gouvernance des universités

Article 2 : Les prises de décisions portant sur les statuts au conseil d’administration (CA) passent de la majorité des deux tiers à la majorité absolue.

Cela diminue les capacités de blocage, mais tout est mis par ailleurs en place pour que la majorité soit plus facile à obtenir : compte tenu d’un mode scrutin de type « majoritaire » pour les enseignants-chercheurs (cf. Article 11) et de la place des personnalités extérieures (cf. Article 7), c’est la porte ouverte aux changements continuels de statuts en fonction du président élu. C’est donc la mise en cause du principe même des statuts d’une instance : offrir des garanties stables contre l’arbitraire et les majorités de circonstance (cf. commentaire de l’article 6).

Le chapitre II = Article 6 : concerne le président :

• Il est désormais élu par le seul conseil d’administration (CA), pour 4 ans, renouvelable une fois, parmi les enseignants et chercheurs de l’université mais aussi parmi les « associés ou invités, ou tout autre personnels assimilés ».

- Il n’appartient donc pas nécessairement à l’université, et peut même n’avoir jamais enseigné.

- Auparavant, le président était élu par l’ensemble des 3 conseils de l’université : CA (conseil d’administration ), CS (Conseil scientifique) et CEVU (Conseil de la vie universitaire). Le système type « grands électeurs » est donc encore restreint (aux membres élus du CA, soit 13 à 23 personnes seulement), puisque les élus CS / CEVU n’interviennent plus (alors que ce sont les seuls conseils où la représentativité par secteurs de formation devrait être vraiment assurée : cf. article 10).

Tout cela va dans le sens d’une « professionnalisation » de la fonction du président qui explique la crainte de le voir se transformer en « PDG » ou en « manager » [voir aussi plus loin l’augmentation considérable de son pouvoir financier : cf. article 18 et 19], alors qu’il était jusqu’à présent choisi « parmi ses pairs », et amené à reprendre des activités d’enseignement et de recherche à la fin de son mandat.

Ce changement dans les habitudes n’est pas forcément mauvais (du moins, il mérite discussion). Mais le vrai problème est que dans les structures où le président est ainsi choisi pour ses compétences de gestionnaire, son rôle est celui d’un exécutif, sous le contrôle d’un CA devant lequel il est dit « responsable » = un CA qui peut le révoquer et où il n’a pas de droit de vote : il y a donc un contre-pouvoir. Or la situation est ici complètement différente, puisqu’elle concentre au contraire les pouvoirs entre les mains d’un président élu par un très petit nombre : dans un CA de 20 membres – cf. article 7 –, le Président pourra compter a priori (du moins dans un premier temps) sur au moins 7 voix des élus et sur les 7 voix des personnalités extérieures qu’il a nommées : autant dire un pouvoir très confortable, et pas de contre-pouvoir.

La suite confirme ce pouvoir très – trop – élargi :

• le président a désormais le pouvoir d’empêcher toute affectation des personnels par un « avis défavorable motivé »

C’est la création d’un quasi droit de veto, entre autres sur les recrutements. Même si

la Minsitre

assure que la nécessité de « motiver » un avis ( = d’expliquer le refus) est une garantie, ceci reste tout à fait insuffisant (on peut maquiller les raisons) et permettra au mieux de faire appel contre la décision (ce qui contribuera à ralentir les démarches de recrutement que cette loi prétend simplifier).

Dans le même sens, les articles 7 et 8 accorde au président une « voix prépondérante » en cas de partage des voix au CA. Outre la professionnalisation, le pouvoir des présidents est sans ambiguïté accru par rapport au texte de loi précédent (ce qui explique aussi que

la Conférence

des Présidents d’Université (CPU) soutienne le projet).

• le président peut désormais déléguer sa signature également à des personnes qui n’ont pas été élues (les « agents de catégorie A [ = administration responsable] placé sous son autorité »).

La délégation de signature n’était jusqu’à présent autorisée qu’aux vice-présidents, au secrétaire général et aux responsables de composantes. Le fait de pouvoir la donner à des agents non élus caractérise une nouvelle fois le caractère autocratique que la loi veut donner au pouvoir du président.

Le chapitre III concerne les Conseils d’université :

Article 7 : il définit la composition et les attributions du conseil d’administration (CA).

1) La question du nombre :

Le CA comporte désormais 20 à 30 membres : 8 à 14 pour les personnels enseignants et chercheurs ; 7 à 8 personnalités extérieures ; 3 à 5 étudiants en formation initiale ou continue ; 2 à 3 personnels non enseignants.

À noter également le complément de l’article 43 : si, dans les 6 mois suivant publication de la loi (août), le CA sortant n’a pas statué sur la taille du nouveau CA, il sera automatiquement porté à 20 membres.

Pour mémoire, la situation jusqu’alors était la suivante : CA de 30 à 60 membres, comprenant 40 à 45 % de personnels enseignants et chercheurs ; 20 à 30 % d’extérieurs ; 20 à 25 % d’étudiants ; 10 à 15 % de personnels non enseignants.

Suite à la mobilisation du mois de mai-juin (et oui, ça avait déjà commencé !), on est passé de 20 personnes à « 20 à 30 ». Est-ce une vraie victoire ?

- On remarque la baisse de la représentation étudiante (qui pourrait descendre jusqu’à 10,7 %) et des personnels non enseignants (qui pourrait descendre à 6,8 %). A contrario, on constate la possibilité d’une augmentation du nombre d’extérieurs, qui pourrait aller jusqu’à 38 %,  = 8 / 21 (d’autant que la variation qui les concerne, 7 à 8, est très limitée) ; à quoi s’ajoute le fait que le président lui-même peut désormais être un « extérieur », alors que ce même article lui donne une « voix prépondérante » en cas de litige : la majorité absolue de l’article 2 devient très facile à trouver).

De plus, la suppression des pourcentages n’est pas anodine, car elle garantissait une représentativité constante (mécanique). Ex : 20%  = 4 représentants sur 20, 6 sur 30 ; avec la nouvelle loi, rien n’interdit de choisir 4 sur 30. De ce fait, la constitution des CA devient très aléatoire (comment fait-on à 25, par exemple ?).

- On passe donc d’un CA où la représentativité, non seulement des différentes composantes, mais même « de toutes les grandes disciplines enseignées » [phrase supprimée dans le nouveau texte !: cf. article 10] était garantie par la loi, à un CA de quelques élus seulement.

En somme, la loi privilégie le caractère institutionnel au détriment de la compétence scientifique et de sa diversité. Il est évident que les universités pluridisciplinaires comme la nôtre seront particulièrement touchées par ces changements.

- Enfin, on voit mal en quoi cette réduction des instances permettra de résoudre les dysfonctionnements institutionnels dénoncés par la communauté universitaire elle-même : cela risque au contraire d’aggraver les négociations parallèles « de couloirs », au détriment d’une amélioration de la pratique démocratique.

2) La question des personnalités extérieures :

Les personnalités extérieures sont nommées par le Président d’université.

- La première version du texte supprimait le vote en CA ; la version définitive précise que la liste sera approuvée par le CA : c’est un progrès, mais vous remarquerez qu’il s’agit d’un avis sur la liste, et non plus sur les personnes (donc on accepte tout le monde ou on rejette tout le monde, puisqu’on ne peut « barrer » quelqu'un).

- Une partie des représentants est d’origine clairement déterminée : « au moins un chef d’entreprise ou cadre dirigeant d’entreprise » ; « au moins un autre acteur du monde économique et social » ; « 2 ou 3 représentants des collectivités territoriales ». En passant, disparaît la mention jusqu’alors explicite de représentants des « organisations syndicales d’employeurs et de salariés », de même que ceux des « organismes du secteur de l’économie sociale, des associations scientifiques et culturelles, des grands services publics et, éventuellement, des enseignants du premier et du second degrés ». A noter aussi que l’idée qu’il devait y avoir un « ancien » de l’université – ce qui n’était pas inintéressant – a justement été supprimée dans la version définitive.

Toutes ces disparitions, si elles ne signifient pas qu’on ne puisse plus faire appel à ce type de membres extérieurs, n’en sont pas moins emblématiques. Le choix discrétionnaire du Président, sous réserve d’une approbation des élus du Conseil qui l’ont lui-même élu, donc soutenu, se substitue à la volonté d’une diversification des personnalités extérieures.

On peut craindre par ailleurs que le nombre de « membres extérieurs » soit utilisé moins pour leur utilité dans la vie de l’université, que pour remercier et rassurer les organismes qui financent. C’est une des manières par lesquelles le « privé » peut effectivement peser sur l’ensemble de la vie et des choix des universités, et pas seulement en ce qui concerne la recherche.

3) La question des attributions du conseil d’administration [CA] :

Approbation du budget (l’article ajoute aussi aux sources de revenus des universités la possibilité de créer des fondations : cf. article 28 et son commentaire) et de la politique scientifique et pédagogique. La version définitive ajoute l’approbation par le CA d’un rapport annuel présenté par le Président.

Ce rapport annuel est la seule limitation aux pouvoirs du président, face à un CA où il est quasi assuré de la majorité. En revanche, les fonctions du CA sont définies de manière plus restrictive, puisque l’adverbe « notamment », présent dans l’ancien texte avant l’énumération de ses fonctions principales, a disparu du projet de loi.

Articles 8 à 10 : concernent le conseil scientifique (CS) et le conseil des études et de la vie universitaire (CEVU).

Le projet révisé ajoute la mention d’un vice-président [VP] étudiant au CEVU et ajoute un article (article 10), mentionnant la « représentation des grands secteurs de formation ».

On notera un glissement sémantique général et significatif : les deux conseils, qui jusqu’alors « proposaient », ne sont plus désormais que « consultés ».

D’autre part, on peut se demander pourquoi l’équivalent de l’article 10 (représentation des grandes disciplines) n’existe pas pour le CA : ces différences dans la formulation sont évidemment symboliques d’une perte d’initiative.

Article 11 : concerne les modalités de vote dans les conseils.

La possibilité de listes incomplètes est rétablie dans la nouvelle version du texte, qui ajoute également un paragraphe instituant l’obtention automatique de la moitié des sièges pour la liste ayant obtenu le plus de voix, l'autre moitié étant répartie à la proportionnelle entre toutes les listes, y compris donc celle qui a remporté la première moitié des sièges. (c’est ce qu’on appelle la « représentation proportionnelle au plus fort reste »)

La nouvelle loi détériore encore la représentation démocratique. En effet, le mode de répartition, qui favorise la liste majoritaire, est calqué sur celui des conseils municipaux  = si la liste majoritaire fait, par exemple, 30 % des voix, elle gagnera quand même 50 % + 1 des sièges !

En d’autres termes, la loi transforme toute représentation minoritaire en simple observateur : en fait, il n'y aura plus aucun contre-pouvoir, ni contrôle du président (forcément choisi par la liste majoritaire) par le CA.

Le chapitre IV concerne les composantes :

Pas de changements majeurs, sinon que le glissement sémantique relevé plus haut perdure : on passe des « propositions » aux « avis ».

Le chapitre V concerne le Comité technique paritaire (CTP) :

C’est un comité consulté sur la politique de gestion des ressources humaines.

Le problème, c’est qu’il existe déjà l’équivalent (qui s’appelle CPE [commission paritaire d’établissement]), qui ne disparaît pas : pourquoi ce doublon ?

Le chapitre VI concerne le contrat pluriannuel :

C’est une partie technique sur les contrats que les universités doivent passer avec l’Etat et avec la région.

Elle permet aussi de créer des liens avec l’autre loi récente (2004) dite « Pacte pour la recherche », loi elle aussi largement contestée, pour des raisons similaires : désengagement de l’Etat ou financements strictement ciblés, sur projet (donc sur court terme), absence de solutions pour les jeunes chercheurs et développement de la précarité, etc. Je n’entre pas dans le détail, mais vous donnerais des informations si vous le souhaitez.

Titre III : Les nouvelles responsabilités des universités

C’est ce qui concerne l’élargissement des compétences  = de « l’autonomie » des universités

Le chapitre Ier concerne le budget et les ressources humaines :

Article 18 :

Passage au budget global, avec limitation des « montants affectés à la masse salariale » et « plafond des emplois »

= la désormais célèbre « fongibilité asymétrique » : on peut supprimer des emplois pour mettre l’argent ailleurs, mais pas le contraire.

Article 19 :

• le conseil d’administration (CA) est désormais chargé de répartir les obligations de service entre enseignement / recherche / autres missions, « dans le respect des dispositions statutaires applicables ».

Dans notre jargon, c’est ce que nous appelons la « modulation des services » : c’est un point très controversé chez les enseignants, car il met en cause le statut des enseignants-chercheurs = un métier où tout le monde peut faire à part égale de l’enseignement et de la recherche.

- Je ne rentre pas dans le détail de nos craintes (par exemple : comment le président et le CA peuvent-ils décider qui a le droit de faire de la recherche ou pas ?), mais j’insiste sur un point : nous craignons fortement que cela signifie aussi qu’on pourra interdire aux enseignants intervenant en L de faire de la recherche, ou du moins, qu’on pourra les obliger à faire plus d’heures de cours.

- Or, particulièrement en Lettres et sciences humaines, les cours sont, dès la première année, appuyés sur la recherche. C’est ce qui fait la différence entre un cours de lycée, ou de classe préparatoire, et un cours de fac, et nous le revendiquons ! L’université, vos enseignements, sont absolument « en prise » avec la recherche la plus contemporaine, ils sont eux-mêmes créateurs de savoir et de questionnements.

- De plus, cela rejoint un autre projet : faire du L un « super lycée » (pour tous) et réserver la « vraie université » aux M et D auxquels tout le monde ne pourra pas accéder et qui ne seront sans doute pas préservés partout [si vous voulez, nous pourrons aussi reparler de l’articulation de la loi LRU et du système LMD, ainsi que de la future géographie des universités, en particulier les « PRES », regroupement de certaines universités en « pôles d’excellence » concurrentiels] : c’est ce qui fait craindre une « université à deux vitesses » pour les enseignants comme pour les étudiants.

• délégation au président de l’attribution de primes (selon quels critères ?) et au CA de la création de dispositifs d’intéressement ;

• possibilité pour le président de recruter, sur budget propre de l’établissement, des agents contractuels sur TOUT TYPE d’emploi (y compris enseignement-recherche), permanent ou non ;

C’est, on le voit, l’un des articles les plus dangereux du projet, car c’est là que sont mis en cause tous les cadres statutaires de la fonction publique, alors qu’il existait jusqu’alors un paragraphe interdisant le recrutement en CDI (il est bien sûr abrogé).

En clair, ces nouvelles dispositions budgétaires signifient :

1) le budget global incluant les salaires, ceux-ci deviennent une variable d’ajustement. Leur limitation interdit de créer plus d’emplois qu’autorisé (l’autonomie n’est pas vraie partout). C’est ce qui ouvre la possibilité pour les présidents d’université de développer et de pérenniser l’emploi précaire chez tous les personnels, y compris les enseignants-chercheurs.

Par ailleurs, les droits d’inscription étaient, avant cette loi, retirés du montant de la dotation globale de fonctionnement [DGF] : leur modulation / augmentation n’apportait donc pas de ressources supplémentaires à l’université. On peut se demander si ce sera encore le cas dans le cadre d’un budget global : c’est bien cette autonomie budgétaire des universités qui laissent penser que les droits d’inscription pourraient augmenter.

2) la possibilité de recruter en dehors des statuts de la fonction publique d’Etat, qui implique entre autres le recrutements sur concours – et justement, les postes mis aux concours ne cessent de baisser ! D’où le risque de voir se développer des emplois non seulement CDI, mais bien sûr CDD, répondant à la logique de « projet », de « mission », d’« objectif » et de « résultat » : c’est impensable pour la recherche sur le long terme et c’est inadmissible, car cela supprime des emplois dans la fonction publique.

3) D’où, aussi, la crainte de voir disparaître des filières. Pour une fois, faisons un peu de « fiction » : si le gouvernement ne pourvoit plus à l’ensemble des demandes de création de postes (justement : aucun poste créé cette année !), voire de renouvellement de postes (ce qui est prévisible, ne serait-ce qu’à cause de la volonté de supprimer la moitié des postes de fonctionnaires partant à la retraite), l’Etat reporte sur les universités le choix de maintenir ou non les emplois qu’elle a déjà (c’est aussi ça, l’autonomie !). Or, quelles possibilités restent offertes à l’établissement ?

- soit il « redéploie » les emplois = il en prend un dans une filière pour le donner à une autre : il met ainsi les départements, les spécialités en concurrence ;

- soit il embauche sur budget propre de l’université, mais des collègues hors statut et souvent précarisés (en CDD) ;

- soit, puisque dans ce budget global, la masse salariale et les emplois sont les seules variables d’ajustement, il ferme les emplois – et ce sera lui le fautif, non pas le gouvernement !

Ajoutons : quels emplois fermer ? vertueusement, on va dire : ceux qui sont en sous-service (= des postes pour lesquels il n’y a plus assez d’heures de cours), via le redéploiement. – Peut-être, mais c’est déjà en partie fait, car les universités manquent d’argent depuis longtemps. Alors, quand il n’y aura plus de postes à déplacer ? Il faudra bien commencer à supprimer des enseignements : pas ceux qui correspondent aux besoins professionnels locaux, bien sûr ; pas ceux non plus qui correspondent à des fléchages recherche « d’excellence » ou financièrement intéressants (et peu importe qu’ils correspondent alors à des besoins d’enseignement). Chacun tirera ses conclusions…

4) la modulation, non seulement des services (cf. ci-dessus), mais aussi des salaires via les primes : elles dissimulent le refus d’augmenter les salaires et mettent l’ensemble des personnels dans un rapport de concurrence. Ajoutons que la notion « d’intéressement » financier, tout à fait nouvelle dans la fonction publique, montre bien que la logique qui sous-tend est celle de l’entreprise.

Le chapitre II  concerne les autres « responsabilités » / « compétences » :

D’abord les étudiants :

Articles 20 et 21 : concernent les modalités d’admission pour les étudiants.

Ces articles réaffirment la liberté de s’inscrire dans l’établissement de son choix, mais sous réserve d’une préinscription. Ils créent un bureau d’aide à l’insertion professionnelle et obligent les universités à publier des statistiques de réussite (examens, poursuite d’étude, insertion professionnelle).

Mais ce dispositif apparemment plein de bonne volonté (la préinscription doit permettre d’accéder à « un dispositif d’information et d’orientation ») risque de devenir un dispositif de sélection caché. En effet :

- D’une part, ce dispositif est soumis à la capacité d’accueil des filières (déjà prévue dans la loi de 1984, mais peu utilisée jusqu’à présent) – or il n’est pas précisé qui la définit (elle est simplement dite « constatée par l’autorité administrative ») : comme, on l’a vu, le budget global tendra à obliger les établissements à réguler eux-mêmes leur offre. C’est la porte ouverte au numerus clausus (forte incitation par ailleurs), voire à la disparition pure et simple de certaines offres.

- D’autre part, une commission d’orientation a logiquement pour fonction de définir les conditions permettant de décider qui répond aux critères de la formation, donc quel bachelier doit être privilégié si les capacités d’accueil sont limitées.

- Par ailleurs un bachelier qui souhaite intégrer une licence non préparée dans son université pourra avoir des difficultés à s’inscrire dans une université d’une autre académie.

Quelle solution s’offre au bachelier refusé faute de place ?

Un tel dispositif – aux effets décourageants reconnus – existe de fait déjà plus ou moins en région parisienne, par le biais des préinscriptions électroniques (dites « Ravel »). Que constate-t-on ? soit le bachelier demande la même discipline dans plusieurs établissements – mais cela ne fonctionne, on le voit, qu’à l’échelle d’une région disposant de plusieurs établissements analogues (ou alors il faut beaucoup de bourses de mobilité, et… vous savez ce qu’il en est) –, soit il propose plusieurs disciplines dans le même établissement (dans le système « Ravel », il est d’ailleurs obligé de proposer au moins 2 disciplines dans un même établissement).

Conséquences : refusé faute de place, ou parce que la formation n’existe pas (ou plus !) dans son académie, le bachelier devra :

• soit accepter (ou être inscrit d’office dans) une formation non demandée en priorité (voire contre son gré ?) : c’est mettre en place sans le dire ce que N. Sarkozy appelait « l’orientation sélective » (cf. sa lettre à

la Conférence

des présidents d’université [CPU] du 15 février 2007) ;

• soit arrêter ses études, faute de bourse de mobilité, et surtout parce que rien ne garantit dans le texte qu’il pourra s’inscrire de plein droit dans une autre académie.

Ces mesures commencent donc à mettre en œuvre les préconisations des rapports Goulard et Hetzel (commission « université-emploi »).

- Enfin, les enseignants s’inquiètent de ce que l’insertion professionnelle pourrait devenir l’élément principal d’évaluation des universités, et se demandent aussi avec quels moyens, en particulier en postes, tout cela pourra être mis en place.

Ex-article 18 : concernant la sélection à l’entrée en M : supprimé en juin

On attend de voir ce qui sera proposé dans le cadre des chantiers « Réussite en licence » qui doit devenir un « diplôme terminal permettant l’insertion professionnelle » – et « Jeunes chercheurs ». Mais vu les commentaires précédents, on se rend bien compte qu’un tel article n’était pas nécessaire dans la loi : la sélection peut se faire par d’autres moyens.

Article 22 : ouvre la possibilité pour le président de recruter des étudiants « notamment pour des activités de tutorat ou de service en bibliothèque »

Plutôt que des bourses, c’est donc un travail que le texte se préoccupe de fournir aux étudiants (pas forcément de l’établissement). Certes, cela pourra sans doute prendre en compte leur spécialité. Mais on ne peut que s’inquiéter de voir ainsi institutionnalisé le risque de concurrence entre personnels titulaires et vacataires, en particulier dans les bibliothèques : est-ce ainsi que le gouvernement résout les graves insuffisances de recrutement dans les BU ? mais n’est-il pas inadmissible de mettre ainsi en cause le statut des personnels des bibliothèques et de laisser entendre que leur travail n’exige pas de compétences particulières ? Il y a donc là à la fois une question de solidarité et de respect d’un travail qualifié, qui est aussi pour les étudiants un débouché professionnel réel.

Ensuite concernant les personnels :

[Article 24 : sur les personnels qui viennent d’autres organismes de recherche]

Article 25 : à la place des « commissions de spécialistes », la loi établit un « comité de sélection créé par délibération du CA » et comprenant pour moitié au moins des membres extérieurs à l’établissement. Depuis la 2e version du projet de loi, il est précisé que les membres seront « choisis en raison de leurs compétences [ouf !], en majorité parmi les spécialistes de la discipline en cause ».

C’est un autre point qui met les enseignants-chercheurs en colère.

- En effet, la règle jusqu’à présent était celle du « jugement par les pairs » = seuls les spécialistes d’une discipline peuvent juger les membres de cette même discipline. Il y a d’abord une évaluation nationale par discipline (les Commissions Nationales des Universités, ou CNU, dont on craint la disparition à moyen terme, puisque la loi précédente sur la recherche a créé une autre instance d’évaluation, entièrement nommée par le ministère, alors que les CNU sont aux 2/3 élus) ; puis un recrutement par concours national sur un poste local, qui était jusqu’à présent géré par des « commissions de spécialistes » que cette loi supprime : certes, elles ne fonctionnent pas toujours de manière satisfaisante, mais on voit mal en quoi ce nouveau dispositif contribuera à simplifier la situation (soit il ne pourra pas respecter les disciplines, soit il sera encore plus compliqué que le système ancien qu’il dénonce, puisqu’il faudra changer sa composition à chaque fois).

En tout cas, ce mode de fonctionnement concentre encore un peu plus de pouvoir entre les mains du CA (c’est un outil supplémentaire pour la gestion des emplois) et ne garantit plus la parité entre les différents grades d’enseignants.

La suppression des commissions de spécialistes au profit de « comités de sélection » met en péril la compétence en termes de recrutement et renforce le clientélisme mandarinal et / ou présidentiel. Ce dispositif confirme que la logique de la loi repose sur la mise en cause du principe même de l’université : produire et transmettre des savoirs dans une cohérence disciplinaire.

- Pour les jeunes chercheurs, ce dispositif a surtout cela d’inquiétant qu’on ne voit plus comment pourra être préservée la « campagne nationale de recrutement » = le fait qu’à une même date, tous les postes vacants du territoire sont mis au concours par le ministère avec publication nationale de tous les emplois. Les universités pourraient désormais pourvoir un poste quand elles le veulent : comment un jeune docteur de Reims pourra-t-il être informé de ce que propose Bordeaux ? Il faudra bien du bouche à oreille et du copinage.

Enfin concernant des questions budgétaires :

Article 28 : donne l’autorisation de créer des fondations

Les fondations sont un outil nouveau qui, comme les dons / legs, permet de créer des sources de financement mixte public / privé. La différence est cependant qu’une fondation choisit et impose l’utilisation des fonds (ce qui n’est pas le cas pour un don ou un leg).

C’est donc, d’une part, un élément supplémentaire permettant aux universités de chercher de l’argent hors du financement de l’État. Mais d’autre part, cela constitue une mise en cause de l’autonomie pédagogique, puisque les universités ne seront plus maîtres de l’affectation d’une partie de leurs fonds, et donc du choix des disciplines correspondantes : c’est le modèle  des « chaires » à l’américaine, dont le contenu (et parfois les intervenants) est fixé par l’entreprise ou l’institution donatrice (ce qui sera d’autant plus facile si ces donateurs se retrouvent membres extérieurs au CA : cf. article 7).

Le principe de la fondation suppose aussi « l’affectation irrévocable » (= ne peut être utilisé pour autre chose) des moyens qu’elle fournit. Il n’y a plus aucune péréquation possible au sein de l’établissement.

Articles 31  : concernent une modification du code général des impôts, où étaient établis les dispositifs permettant la rémunération des prestations proposées par l’université : brevets, création des Services d’Activités Industrielles et Commerciales [SAIC], permettant d’investir dans des participations et des créations de filiales.

- Ce caractère commercial, qui peut paraître déplacé pour un service public, a été discuté en son temps. La nouveauté tient à la disparition de la mention « Dans la limite des ressources disponibles dégagées par ces activités » (= la prise de brevets et de licences) : budget global oblige, tout devient susceptible d’être investi.

- D’autre part, les dons des particuliers (comme pour les entreprises) ouvrent désormais droit à une réduction d’impôt sur le revenu. Cette clause valant pour tous les établissement habilités à délivrer le GRADE (et non le diplôme) de master, il est également possible de faire des dons à des établissements privés..

Article 32 : autorise les établissements qui le souhaitent à demander la propriété de leurs biens mobiliers et immobiliers et à passer « un contrat conférant des droits réels à un tiers ».

Cette clause est dangereuse pour plusieurs raisons :

- la vente ou l’hypothèque de ces biens (publics !), désormais autorisée par l’article suivant, devient un moyen pour les universités d’abonder leur budget (l’article 33, qui énumère les ressources propres, ajoute explicitement ces ventes aux ressources possibles des établissements)… ou d’apurer leur dette…

- contrairement aux fondations universitaires, l’université est personnalité morale selon l’article 711-1 : son patrimoine propre serait donc soumis à toutes les règles du patrimoine, incluant la possibilité d’être hypothéqué ou attaqué en justice ;

- l’état de dégradation des campus laisse craindre que la charge des rénovations retombe sur le budget des universités. Il est certain en tout cas que cette clause crée des inégalités supplémentaires entre les universités disposant de locaux de centre-ville, susceptibles d’être vendus ou loués, et celles dont les locaux sont sur des terrains excentrés ou sans valeur.

- Enfin on notera qu’aucun personnel supplémentaire compétent n’est prévu pour traiter ces nouvelles questions.

La porte est ainsi grande ouverte aux contrats de partenariat privé-public, et au transfert au privé des emplois de maintenance, entretien et gestion qui jusqu'à présent étaient pourvus par du personnel de la fonction publique.

Globalement, toutes ces mesures vont dans le même sens : suppléer le désengagement financier de l’État et faire dépendre l'enseignement supérieur et la recherche de financements alternatifs (en particulier du secteur marchand), avec le risque de créer des universités riches (celles qui auront pu se doter de fondations, de labos, d’Écoles doctorales, etc.) et pauvres (celles qui seront réduites au L ?)

En somme, ce n’est pas tant la loi que les dérives qu’elle rend possible qui inquiètent : comme le soulignait un étudiant, tout se passera bien si tout le monde est très honnête, très compétent, très gentil et très riche…

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